L'offre patrimoniale reste classique mais comporte de nombreuses contraintes

- Les solutions proposées aux majeurs protégés sont diverses à condition de ne pas mettre en danger les actifs confiés

- Tuteurs, juges et gestionnaires de patrimoine doivent travailler de concert dans le mode de détention et la nature des placements

Lié par des devoirs de prudence, diligence et d'avis (1), le tuteur recourt parfois aux services d'un conseiller en gestion de patrimoine pour trouver les solutions d'investissement adéquates et en justifier correctement auprès du juge des tutelles. « Une gestion avisée suppose en effet de prendre conseil auprès d'autres professionnels. Ce sont surtout les tuteurs professionnels, à savoir les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), qu'ils soient des associations tutélaires ou des libéraux, qui nous sollicitent, plus que les tuteurs familiaux », fait remarquer Christelle Abatut, associée gérante de Tocqueville Conseil et membre de la Financière du Carrousel.
Ces impératifs de prudence, de diligence et d'avis constituent le fondement des choix patrimoniaux opérés pour gérer les avoirs d'une personne vulnérable. Le juge des tutelles s'assure d'ailleurs activement de leur respect (lire l'avis d'expert d'Emilie Pecqueur).

Fonds en euros. L'offre qui a la préférence des gestionnaires - et du juge des tutelles - reste les fonds en euros des contrats d'assurance vie ou de capitalisation, essentiellement pour des raisons de garantie en capital et pour leur simplicité. « Je préfère proposer des contrats de grandes compagnies françaises et qui n'ont pas une exposition trop importante vis-à-vis des pays à risques », explique Marc Schmitt, directeur de Solidia, structure spécialisée dans les tutelles du groupe Oudart. Souvent, l'assurance vie est privilégiée lorsqu'il y a un objectif fort de transmission tandis que le contrat de capitalisation est essentiellement tourné vers les besoins de financement de la personne protégée.
Pour Jacques Delestre, directeur du cabinet JD Consultant, « le contrat de capitalisation est la meilleure solution, de manière évidente, lorsque la personne protégée a plus de 85 ans, mais aussi avant cette âge, le rôle du tuteur n'étant pas d'organiser la transmission de la personne dont il a la charge, mais de valoriser au mieux le capital pour les intérêts exclusifs de la personne protégée. A ce titre, je dénonce l'assurance vie comme préconisation universelle ». Si la solution de l'assurance vie est retenue, le protecteur ou son conseiller patrimonial devra s'assurer que le placement n'encourt pas la qualification de donation indirecte. C'est un point sur lequel les héritiers, mais aussi le conseil général au niveau départemental - ce dernier pouvant venir récupérer une partie des aides sociales qu'il a fournies durant la vie de la personne vulnérable - seront très vigilants au moment du décès du protégé.

Epargne handicap. Les contrats d'assurance vie peuvent contenir une option fiscale appelée «épargne handicap ». Celle-ci permet l'obtention d'avantages fiscaux tels que l'absence de prélèvements sociaux sur les intérêts acquis durant la phase d'épargne, une réduction d'impôt sur le revenu égale à 25 % des sommes versées dans la limite de 1.525 euros et 300 euros par enfants à charge, ou une absence de prélèvements sociaux en cas de dénouement par décès. En outre, le montant du contrat ne rentrera pas dans l'assiette permettant de calculer les frais de tutelle dus lorsqu'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs est nommé par le juge.
La seule condition pour être éligible à cette option est que l'assuré soit atteint d'« une infirmité qui l'empêche de se livrer, dans des conditions normales de rentabilité, à une activité professionnelle », ainsi que l'énonce l'article 199 septies du Code général des impôts. Sous réserve d'apporter les justifications demandées, le contrat est en pratique ouvert aux personnes à partir de 16 ans et jusqu'à l'âge de la retraite. « Si les assureurs devraient accepter tout justificatif apportant la preuve du handicap, certaines compagnies sont très strictes, exigeant impérativement une carte d'invalidité à 80 %. A noter également qu'il n'existe pas de contrat réservé aux personnes handicapées, sauf à prendre cette option dans un contrat classique. D'ailleurs, JD Consultant a conçu un contrat dédié au monde du handicap avec Oradéa Vie, le contrat Solution Epargne Handicap. Oradéa Vie réfléchit à sa diffusion à l'ensemble de ses partenaires », met en avant Jacques Delestre.

Unités de comptes, SCPI, obligations, actions. Les fonds en euros répondent parfaitement aux objectifs fixés par l'article 496 du Code civil. Pour s'en assurer, le juge des tutelles Emilie Pecqueur fait signer une attestation de garantie du capital à l'assureur. Cependant, ce placement ne procure pas nécessairement de revenus suffisants pour le majeur sous tutelle. D'autres solutions plus risquées mais aussi plus rémunératrices peuvent être proposées dès lors qu'elles visent une partie modérée des actifs. Le juge des tutelles examinera ces propositions au regard de l'importance du patrimoine, de l'espérance de vie ou du niveau de vie. Certains magistrats peuvent ainsi accepter une proportion d'unités de compte et/ou de SCPI jusqu'à 20 % sur le contrat d'assurance vie ou de capitalisation.
La souscription de parts de SCPI en direct est aussi une solution. Ce vecteur est d'ailleurs excellent pour un majeur qui est fragile et qui est usufruitier de son patrimoine, comme le souligne Delphine Pasquier, ingénieur patrimonial à la Bred Banque Privée (lire l'avis d'expert). La souscription d'obligations d'Etat en direct est envisageable bien qu'un peu moins prisée depuis la crise des dettes souveraines, ce qui n'est pas le cas des obligations émises par les entreprises car, selon Thierry Despinois, chargé d'affaires patrimoniales à la Bred Banque Privée, « le juge des tutelles n'est pas enclin à juger de leur pertinence ». « Certains majeurs n'étant pas imposés sur le revenu, le recours à la souscription d'obligations en sera d'autant plus rentable grâce au choix de l'option à l'IR », précise Thierry Despinois.

Gestion sous mandat, PEP et PEA. Par ailleurs, en cas de gestion sous mandat, il s'agira pour le tuteur de veiller à ce que la gestion soit prudente, c'est-à-dire dénuée de risques prévisibles. Thierry Fossier a décrit les implications pratiques de ce principe dans un entretien accordé à L'Agefi Actifs en juillet 2009 (2). Delphine Pasquier explique de quelle façon la Bred Banque Privée gère cette situation. Pour le juge des tutelles Emilie Pecqueur, « s'il y a des produits à risque, j'invite le tuteur à me faire une proposition pour sécuriser les actifs. En revanche, en présence d'un patrimoine important, et d'une proportion mesurée du risque, telle que 25 ou 30 %, je ne demanderai pas nécessairement sa modification, considérant que c'est un choix délibéré de la personne sous tutelle effectué avant sa mise sous protection ».
Si le majeur protégé avait souscrit un plan d'épargne populaire (PEP) ou un plan d'épargne en actions (PEA), « il peut être intéressant de conserver ces enveloppes, voire de les abonder car elles peuvent servir une rente viagère défiscalisée. Le juge des tutelles peut l'accepter », précise Henri Vincent, gérant chez Excelsius Conseil. « Lorsque la personne protégée a reçu un héritage, elle peut verser la somme sur son PEP et demander la liquidation en rente viagère défiscalisée », illustre Christelle Abatut.

Rente viagère immédiate. Même si ce produit reste encore confidentiel, la rente viagère immédiate peut aussi être une solution aux besoins de financement du majeur protégé. Avec cette formule, le souscripteur se dessaisit totalement d'un capital au profit de l'assureur qui, en échange, verse une rente viagère au souscripteur jusqu'à son décès.
Deux inconvénients doivent néanmoins être relevés : le premier est que le rachat du contrat est impossible et le second est que les héritiers ne pourront pas récupérer le capital au décès du souscripteur. « C'est à partir de 75 ans environ que ces contrats peuvent être très concurrentiels entre les assureurs. Ainsi, pour une personne âgée de 85 ans, on peut obtenir jusqu'à 20 % de revenus par an », illustre Jacques Delestre. « Le juge des tutelles peut être enclin à l'autoriser lorsque les héritiers sont d'accord », relève Marc Schmitt. A noter qu'une contre-assurance peut être mise en place pour les héritiers en cas de prédécès du souscripteur, permettant la récupération d'une partie du capital mais diminuant un peu la rente en contrepartie.

Valentine Clément

(1) Article 496 du Code civil.
(2) Lire L'Agefi Actifs n°406, p. 4, interview
de l'ancien juge des tutelles Thierry Fossier.

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POINTS CLES

  • En vertu de l'article 496 du Code civil, le tuteur représente la personne protégée dans les actes nécessaires à la gestion de son patrimoine en y apportant des soins prudents, diligents et avisés.
  • Au regard de ces principes, les produits préconisés en pratique seront surtout les contrats d'assurance vie ou de capitalisation investis en euros à 100 %.
  • Des risques sont cependant admis sur une proportion réduite du patrimoine, notamment lorsque l'importance des actifs le justifie et que le majeur a un besoin de revenus complémentaires, sous réserve que le juge des tutelles y soit favorable.

DELPHINE PASQUIER, INGENIEUR PATRIMONIAL, BRED BANQUE PRIVEE

"Le mandat de gestion se poursuit, même s'il est dynamique, jusqu'à dénonciation par le tuteur"

L'Agefi Actifs. - Comment Bred Banque Privée gère-t-elle les portefeuilles de valeurs mobilières des personnes mises sous tutelle ? Delphine Pasquier. - Une fois informés du placement sous tutelle de l'un de nos clients, nous avertissons le tuteur de la nature du contrat s'il ne nous a pas préalablement interrogés. En présence d'un portefeuille géré, le contrat se poursuit, même s'il est dynamique, jusqu'à sa dénonciation par le tuteur. Le tuteur dispose de deux options : soit il sollicite l'autorisation auprès du juge des tutelles de sécuriser le portefeuille existant via la transformation du mandat dynamique en mandat sécuritaire, soit il résilie directement le mandat sans autorisation préalable. Dans ce dernier cas, il devra alors demander au juge des tutelles l'autorisation de réinvestir les fonds mais il n'est pas certain que le juge autorise la signature d'un nouveau mandat de gestion, même avec un profil sécuritaire. Dès lors que le portefeuille n'est pas sous gestion, les arbitrages sont considérés comme des actes d'administration et peuvent être réalisés par le tuteur seul. Nos conseillers patrimoniaux inciteront alors fortement le tuteur à se positionner sur des avoirs sécuritaires, adaptés aux personnes placées sous un régime de protection. Si nous étions sollicités pour réaliser un arbitrage au profit d'un placement dynamique, celui-ci serait qualifié d'acte de disposition « en raison des conséquences importantes sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée (…) » (1) et ne pourrait être réalisé qu'avec l'accord du juge des tutelles. Cette procédure est également applicable en cas de curatelle renforcée.

Lorsque la personne mise sous tutelle est usufruitière d'un patrimoine, quel type d'investissement vous paraît le plus approprié ?- Nous rencontrons peu de personnes usufruitières placées sous tutelles. Dans la plupart des cas, la gestion du patrimoine démembré est poursuivie en continuité de sa constitution initiale. En cas de nécessité d'arbitrage et de besoin de revenus complémentaires, les placements tels que les parts de SCPI ou OPCI devraient être plus souvent mis en avant, compte tenu de la simplicité de gestion qui en découle et de l'intérêt des rendements immobiliers. Aujourd'hui, les juges des tutelles commencent à apprécier la sécurité que représente la pierre en comparaison des marchés financiers et des placements de taux qui rapportent peu. La souscription d'un contrat de capitalisation démembré en cours de tutelle apparaît, quant à elle, encore trop compliquée. En effet, sans tutelle, la souscription d'un tel contrat nécessite une convention entre usufruitier et nu-propriétaire déterminant les droits de chacune des parties et notamment le droit aux « fruits » du contrat, matérialisé par la faculté de rachat de la performance annuelle du contrat. En présence d'un usufruitier de contrat de capitalisation sous tutelle, le tuteur semble devoir obtenir chaque année l'autorisation du juge d'exercer son droit de rachat à hauteur de la performance passée du contrat, celle-ci étant variable d'une année sur l'autre. Ce manque de simplicité ne permet pas d'assurer une gestion sereine des avoirs de la personne protégée. Si le rendement des OPCVM monétaires devait redevenir plus attractif, le tuteur pourrait alors avoir l'envie de se tourner à nouveau vers la constitution d'un portefeuille démembré grâce à la faculté d'investir sur des OPCVM de distribution pouvant même proposer des obligations, mais tout en gardant en mémoire que tous les OPCVM de taux comportent un risque en capital.

(1) Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 - JO 31 décembre 2008.

EMILIE PECQUEUR, JUGE DES TUTELLES AU TRIBUNAL D'INSTANCE D'ARRAS (1)

"Mon rôle consiste à assurer une gestion prudente en évitant les blocages"

L'Agefi Actifs. - En tant que juge des tutelles, comment appréhendez-vous les propositions faites par le tuteur pour gérer les actifs financiers d'un majeur sous protection judiciaire ? Emilie Pecqueur. - Tout d'abord, il est important de rappeler que chaque juge des tutelles a sa propre pratique. Pour ma part, je considère qu'il ne me revient pas de choisir parmi les options de placements proposées par le tuteur familial ou professionnel. Le cas échéant, je demande aux intéressés de revenir vers moi avec leur choix. Mon rôle consiste à assurer une gestion prudente, en évitant les blocages. Mais il m'est arrivé d'autoriser une certaine proportion, en général 20 à 30 %, de placements plus risqués sur les marchés d'actions, notamment lorsque l'importance du patrimoine le permet. Certains de mes collègues prêtent une attention particulière aux frais d'entrée et de gestion, et les font modifier de manière quasi systématique. C'est un point sur lequel je suis certainement un peu moins regardante que d'autres juges. Parfois, ce sont les tuteurs eux-mêmes qui font preuve de prudence. En ce moment, nous voyons ainsi arriver des demandes de diversification des placements afin de limiter les risques de perte liés aux faillites des banques.
L'assurance vie apparaît fréquemment dans la composition du patrimoine d'une personne vulnérable. Comment gérez-vous cet actif ? - Pour ma part, je fais signer une fiche au conseiller - financier ou en assurance - qui propose ce contrat à la souscription afin que l'établissement atteste que le placement proposé garantit bien le capital, sous déduction éventuelle des frais d'entrée et de gestion. Par ailleurs, la réforme des tutelles de 2007 permet au tuteur de choisir les bénéficiaires du contrat d'assurance vie (2), avec autorisation du juge, alors qu'il ne pouvait désigner que les seuls héritiers auparavant.
Je manie cette nouvelle disposition avec beaucoup de prudence car il me paraît difficile de décider, en tant que magistrat, d'avantager telle ou telle personne en lieu et place de la personne sous tutelle qui n'est plus en état d'exprimer sa volonté. A titre d'illustration, j'ai autorisé la désignation des petits-enfants de l'assuré en tant que bénéficiaire du contrat plutôt que les enfants en m'assurant du consentement de ces derniers par accord écrit. Le risque serait une contestation ultérieure des héritiers après le décès de leur parent sous tutelle. J'ai également pu autoriser la soeur de l'époux de la tutrice, qui n'était pas de la famille, à être désignée bénéficiaire du contrat d'assurance vie. J'avais la preuve qu'elle s'était énormément investie dans l'aide du majeur lourdement handicapé et qu'il n'existait pas d'héritiers directs. Enfin, il est intéressant de noter qu'un majeur sous curatelle, même renforcée, peut souscrire un contrat d'assurance vie - avec l'assistance de son curateur - sans intervention du juge des tutelles, à la différence d'une personne sous tutelle.

Les conseillers en gestion de patrimoine avec lesquels les tuteurs travaillent fréquemment pour établir un plan financier regrettent souvent le manque de réactivité des ordonnances rendues par le juge pour valider un arbitrage patrimonial. Que pourriez-vous leur répondre ? - La difficulté provient du manque de personnel pour la mise en forme et la notification des ordonnances. En outre, nous traitons les dossiers par priorité. Une vente d'immeuble pour financer une maison de retraite passera devant le placement de un million d'euros. A noter cependant qu'un décret pris en application de la réforme des tutelles de 2007 a posé un délai maximum de trois mois pour statuer sur ces requêtes. Cependant, aucune sanction n'est associée au non-respect de ce délai qui, pour ma part, est systématiquement respecté.

(1) Présidente de l'Association nationale
des juges d'instance.
(2) Art. L. 132-4-1 du Code des assurances.