Newsletter de Septembre 2013

Changement de bénéficiaire dans une assurance vie : En pratique, comment faire en présence d’un majeur protégé 

Les contrats d’assurance vie accompagnent la fin de vie du souscripteur et par la disponibilité de l’épargne acquise, garantie par l’article L 132-21 du Code des assurances, ils participent de la qualité d’une vie qui n’en finit pas de durer.
 
Contrepartie de cette adéquation des qualités du contrat aux exigences de survie, le contrat ne se dénouera qu’au jour du décès du souscripteur et le solde des capitaux accumulés, non consommés, profitera aux bénéficiaires désignés, le plus souvent les héritiers, à savoir les enfants, vivants ou représentés.
 
Sauf que le souscripteur, de plus en plus âgé, de plus en plus fragile, de plus en plus influençable, pourrait dans les dernières années de sa vie changer les bénéficiaires du contrat et favoriser l’un des héritiers plus attentifs que les autres, un voisin ou ami plus particulièrement serviable, voire une nouvelle compagne (épouse, partenaire pacsée ou concubine) plus attentionnée parce qu’intéressée.
 
L’entourage s’inquiète, notamment les enfants. L’assurance vie n’est-elle pas devenue un instrument de contournement quasi-légal de la réserve héréditaire, et donc d’exclusion des enfants ou de certains d’entre eux ? Les contrats sont anciens, les primes payées depuis longtemps, le changement de bénéficiaires est toujours possible.
 
De quels moyens les exclus disposeront-ils pour éventuellement corriger ce changement de bénéficiaires plus ou moins tardif et plus ou moins spontané qui pourrait les priver du capital des contrats d’assurance de celui auquel ils ont peut-être oublié de porter attention ou dont ils n’ont pas su écarter des présences un peu trop pressantes, parfois indélicates ou peu scrupuleuses, participant ainsi à un isolement organisé.
 
Le souscripteur peut, jusqu’au dernier souffle de vie, désigner et éventuellement changer les bénéficiaires du contrat, ou la répartition du capital entre eux.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2007, a confirmé fermement ce droit dans les termes suivants : « ... dans l’assurance vie l’assuré peut modifier jusqu’à son décès la répartition du capital entre les bénéficiaires, dès lors que la volonté du stipulant est exprimée d’une manière certaine et non équivoque... ». Cette faculté est d’ailleurs le plus souvent rappelée dans les conditions générales du contrat d’assurance.
 
Les changements tardifs sont possibles. Sont-ils sincères, expriment-ils la réelle intention de l’assuré ?
 
L’efficacité de toute désignation repose sur la pleine capacité de l’assuré à désigner. La désignation bénéficiaire, tout comme toute désignation testamentaire, suppose que, lors de l’exercice de ce droit « personnel », l’assuré dispose d’une parfaite conscience de l’acte accompli.
 
L’allongement de la durée de vie, les faiblesses inhérentes au grand âge, peuvent conduire, plus souvent qu’autrefois, à des changements de bénéficiaires au gré des changements constatés dans l’environnement familier de la personne âgée.
 
Comment se défendre si les héritiers ont des doutes sur la sincérité d’une désignation de dernière heure ?
 
Toute désignation, ancienne ou nouvelle, ne sera connue qu’au lendemain du dénouement du contrat, c’est-à-dire postérieurement au décès de l’assuré. Le décès fournira deux éléments d’information utiles : d’une part, le nom des nouveaux bénéficiaires, d’autre part, la date du changement de bénéficiaires.
 
Changement de clause bénéficiaire par un assuré protégé.

Si antérieurement à la signature d’une nouvelle clause bénéficiaire, l’assuré avait été placé sous régime de tutelle ou de curatelle, tout changement de bénéficiaire, pour être opposable, devra avoir respecté les exigences de l’article L 132-4-1, c’est-à-dire :

-          avoir été autorisé préalablement par le juge des tutelles ou par le conseil de famille, s’il a été constitué,
-          ou dans le cas d’une curatelle avoir été fait avec l’assistance du curateur.
 
Le défaut de respect de ces dispositions ouvrira le droit de demander la nullité du changement de bénéficiaire, au lendemain du décès de l’assuré. Ce droit est également affirmé dans l’article L 132-9-2 lorsqu’il s’agit de révoquer un bénéficiaire, c’est-à-dire le plus souvent d’en changer.
Les mesures mises en place, tutelle ou curatelle, protègent contre tout changement de bénéficiaire de dernière heure. Faut-il encore que ces mesures aient été mises en place.
 
Sous réserve de la réalité d’un état de santé défaillant de l’assuré, laissé à l’appréciation du juge, il pourra être envisagé par les héritiers, inquiets, de lancer une procédure de protection qui, si elle aboutit, sera de nature à ouvrir un droit de contestation du changement de bénéficiaire sur le fondement de l’article 464 du Code civil. Les actes accomplis dans les deux ans ayant précédé la publication de la mesure de protection sont réputés suspects.
 
L’alinéa 3 de l’article L 132-4-1 du Code des assurances est encore plus précis dans la mesure où il indique également que « l'acceptation du bénéfice d'un contrat d'assurance sur la vie conclu moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la curatelle ou de la tutelle du stipulant peut être annulée sur la seule preuve que l'incapacité était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés ».
 
L’article 414-2 du Code civil dispose que la désignation bénéficiaire pourra faire l’objet d’une procédure de nullité si cette désignation est intervenue alors que l’assuré était placé sous sauvegarde de justice ou si une procédure de protection était en cours d’instruction.
 
S’il n’est pas possible de contester le changement de clause du vivant du souscripteur assuré sur le fondement d’une éventuelle « insanité d’esprit », puisque la réalité d’une désignation bénéficiaire modifiée ne sera connue qu’au lendemain du décès, il pourrait être, à tout le moins, utile de se réserver les preuves, « médicales », de l’état de défaillance de l’assuré. Il faudra peut-être un jour pouvoir en justifier.

Source : Jean AULAGNIER-AUREP